Archives Mensuelles: avril 2013

Ce que sait la montagne

Aux sources des philosophies de l’environnement

L’éthique environnementale, qui s’est développée dans la foulée de cet article, s’est élaborée autour de l’idée de la valeur intrinsèque, celle des entités naturelles, ou de la nature comme un tout. L’expression de « valeur intrinsèque » se trouve chez Kant : a une valeur intrinsèque tout ce qui doit être traité comme une « fin en soi », c’est-à-dire, pour Kant, l’humanité et, plus généralement, tout être raisonnable. Tout le reste n’est considéré que comme un moyen, comme une valeur instrumentale. L’éthique environnementale va nommer « anthropocentrique » cette position qui ne reconnaît de dignité morale qu’aux humains, et laisse, en dehors de son champ, tout le reste, c’est-à-dire la nature, vue comme un ensemble de ressources. L’ambition de l’éthique environnementale est au contraire de montrer que les entités naturelles ont une dignité morale, sont des valeurs intrinsèques.

L’idée est que, là où il y a des moyens, il y a nécessairement des fins. Or, tous les organismes vivants, du plus simple au plus complexe, qu’il s’agisse d’animaux (même dépourvus de sensibilité), de végétaux, ou d’organismes monocellulaires…, tous déploient, pour se conserver dans l’existence et se reproduire, des stratégies adaptatives complexes, qui sont autant de moyens au service d’une fin. Il y a donc des fins dans la nature. On peut considérer tout être vivant comme l’équivalent fonctionnel d’un ensemble d’actes intentionnels, comme une « fin en soi » : « les organismes, affirme Rolston, un des théoriciens de la valeur intrinsèque, valorisent ces ressources de façon instrumentale, parce qu’ils s’accordent à eux-mêmes, à la forme de vie qu’ils sont, une valeur intrinsèque » (Rolston III, Holmes, 1987, 269). À l’opposition entre les personnes humaines et les choses, caractéristique de l’anthropocentrisme, se substitue une multiplicité d’individualités téléonomiques, qui peuvent toutes prétendre, au même titre, être des fins en soi, et donc avoir une valeur intrinsèque (Taylor, Paul W., 1981, 1986 ; Rolston III, Holmes, 1994b ; Callicott, J. Baird, 1999a). Tout individu vivant est, à égalité avec tout autre, digne de considération morale : c’est ce qu’on appelle le biocentrisme.

L’éthique environnementale biocentrique reconnaît ainsi un vouloir-vivre (une infinité de vouloir-vivre individuels) à l’œuvre dans la nature entière, et transfère à la vie, à tout ce qui est vivant, la dignité morale que l’éthique kantienne accorde aux êtres libres. Il s’agit donc d’une éthique du respect de la nature, dont Paul Taylor détaille les principes : (1) Tous les êtres vivants ont un statut égal. (2) On ne peut traiter une valeur intrinsèque comme un simple moyen . (3) Chaque entité individuelle a droit à la protection. (4) Il s’agit bien d’une affaire de principe, d’un principe moral (Taylor, P. W., 1986, 78-79). L’éthique du respect de la nature est donc une éthique déontologique, qui évalue les actions morales suivant qu’elles respectent ou non des principes moraux, nullement en anticipant des conséquences. C’est cet aspect déontologique qui peut expliquer le succès de l’éthique de respect de la nature. Elle implique une véritable conversion morale : il s’agit de se déprendre de l’égoïsme des conceptions morales traditionnelles, anthropocentriques (leurs détracteurs parlent à ce sujet de « chauvinisme humain ») pour découvrir la valeur de tout ce qui nous entoure. De quel droit ne nous reconnaissons-nous de valeur qu’à nous-mêmes, nous les humains ?

La reconnaissance de la valeur intrinsèque passe par une sorte de sursaut moral, une attention au vivant qui a rapidement gagné des adeptes. La valeur intrinsèque est devenue le cri de ralliement de nombreux militants de la protection de la nature. On en retrouve aussi la marque dans les différents textes législatifs qui règlent la protection des espèces : elles impliquent le plus souvent l’interdiction de tout prélèvement individuel des composantes de ces espèces. Cette attention à l’entité individuelle est caractéristique du biocentrisme.

Reconnaître une valeur intrinsèque à chaque entité vivante, c’est admettre qu’elle existe d’une façon telle que l’on ne peut en disposer de façon arbitraire, qu’elle ne peut être à volonté remplacée par un équivalent. Cela ne conduit pas à s’interdire toute intervention dans la nature qui risquerait de tuer des êtres vivants (ce serait impossible) mais à en rendre nécessaire la justification. Aussi longtemps que l’anthropocentrisme est dominant (c’est-à-dire que les êtres humains sont considérés comme les seules fins en soi, dignes d’être moralement considérées) la charge de la preuve, là où la diversité biologique est en danger, revient aux protecteurs de la nature : ils doivent prouver que telle ou telle perte de diversité biologique entraînera plus de coûts que d’avantages pour les populations humaines. Se ranger au biocentrisme conduirait à inverser la charge de la preuve : il faudrait que ceux qui proposent de nouvelles activités, potentiellement dangereuses, apportent la preuve que l’on a des raisons valables de détruire des valeurs intrinsèques.

A lire la totalité de l’article

Catherine Larrère, « Ce que sait la montagne. Aux sources des philosophies de l’environnement », La Vie des idées, 30 avril 2013. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Ce-que-sait-la-montagne.html

TOUT EST RELATIF, MONSIEUR POINCARÉ !

Le film « Tout est relatif, monsieur Poincaré ! » revient sur la vie et l’œuvre d’Henri Poincaré. Né en 1854 à Nancy, Henri Poincaré est un élève brillant, en 1873, il est admis major de sa promotion à l’école polytechnique.
L’oeuvre de Poincaré couvre de nombreux domaines en mathématiques et en physique. Ses premiers travaux portent sur les fonctions fuchsiennes, sur la théorie qualitative des équations différentielles et sur la théorie des fonctions. Poincaré est le fondateur de la topologie algébrique. En 1889 il reçoit un prix pour son mémoire sur « le problème des trois corps ». Ses hypothèses seront à l’origine de la théorie du chaos.
En physique, il travaille sur les équations de transformations de Lorentz. Il construit alors les bases mathématiques de la théorie de la relativité restreinte.
Membre de l’Académie des sciences, élu à l’Académie française en 1908, Henri Poincaré meurt en 1912.